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Agriculture et maladies des plantes
30 septembre 2012

De la réforme de l’université à sa descente aux enfers

De la réforme de l’université à sa descente aux enfers

le 30.09.12

Un récent séminaire à Oran (1) dont il a été précédemment question a constitué l’occasion  ayant permis de brosser un tableau de l’université algérienne, tableau qui, pour n’avoir été que très peu reluisant, n’en a pas moins relevé par ailleurs les aspects positifs rattachés à la réforme du système de l’enseignement supérieur opérée en 1971, mais qui n’a pas fait long feu, faute de cohérence et d’esprit de suite.

De cette date au début des années 1980, l’université algérienne s’est trouvée engagée sur un double front : celui de l’arabisation et de la massification, double processus ayant pour objet de recouvrer, à la fois, l’identité nationale et de démocratiser l’enseignement en faisant bénéficier toutes les couches de la population, sans distinction.

La réforme par «l’idéologie»

Comme les trois «Révolutions» (culturelle, agraire et industrielle) décrétées en haut lieu par «le pouvoir révolutionnaire», la réforme de l’université, inaugurée en 1971, s’est inscrite dans une perspective «idéologique» dans laquelle la revendication identitaire (algérianisation de l’université) l’emportait au loin sur le souci de dispenser un enseignement scientifique neutre, qui puisse aiguiser le sens critique des générations appelées seulement à se former selon des modes de pensée «nouveaux», en rupture avec les méthodes d’enseigner et de penser héritées de la décolonisation. En dépit de cette surpolitisation de l’université (étudiants volontaires, brigades de la Révolution agraire…) qui s’est doublée d’une arabisation agressive et sans nuances (cf. la polémique Cheriet-Lacheraf), l’esprit critique ne s’est pas encore complètement émoussé et les débats d’idées demeuraient fréquents et relativement libres, tant ils n’attentaient pas aux options fondamentales du «pouvoir révolutionnaire» qui avait alors le vent en poupe.

L’Université au tournant des années 1980-1990

Cependant, à partir de 1980, l’enthousiasme patriotique commence à baisser en même temps que s’essoufflent simultanément les «trois Révolutions», qui laissent désormais la voie ouverte à la réaction islamiste, produit inévitable de la politique d’arabisation chaotique, conduite précédemment à marches forcées. De cette date, au commencement des années 1990, l’université n’est que le reflet affaibli des décennies précédentes, où l’espoir d’effectuer un saut qualitatif est encore permis. Le quantitatif et l’arabisation au rabais ont fini par avoir raison de la qualité et de l’espoir de mettre l’université au diapason de la science et de la modernité politique. La fin des années 1980 et le début des années 1990 clôturent la période précédente, oublient ou renient ce qui a été fait et ouvrent une nouvelle page dans l’histoire du pays : violence et démocratie, terrorisme et éradication vont ponctuer la vie politique et sociale du quotidien des Algériens, au cœur desquels s’installent la grande terreur et des incertitudes des lendemains qui déchantent. L’université, pendant ce temps, déjà victime de tant de maux, sombre imperceptiblement  dans un profond sommeil avant d’effectuer sa descente aux enfers.

Le hiatus entre les immenses investissements éducatifs consentis et les minces résultats escomptés

En faisant l’inventaire des symptômes de la maladie de l’université algérienne, maladie liée tant à sa croissance quantitative qu’à son instrumentalisation idéologique qui ont abouti, toutes deux, à une arabisation «sauvage» ayant pour effet immédiat d’enfanter le nihilisme destructeur et une pensée fossile, les séminaristes d’Oran se sont efforcés de trouver les antidotes au mal chronique qui ronge l’université et qui en fait le lieu de médiocrités intellectuelle et scientifique exubérantes. Pour une fois, les intervenants de ce séminaire se sont abstenus de verser dans les travers, consistant à passionner le débat, à en faire l’occasion de «régler des comptes», en optant plutôt pour une approche à la fois critique au sens constructive et une démarche intellectuelle responsable et apaisée aux fins de suggérer des solutions raisonnables à la crise récurrente de l’université.

D’emblée, ils se sont attaqué à l’essentiel en faisant la part des choses : sans nier les efforts consentis, tant en termes politique que financier par les pouvoirs publics depuis l’indépendance pour promouvoir une université nationale performante, formatrice et productrice du savoir et du sens, et sans nier nullement la sincérité patriotique de ses premiers réformateurs qui avaient à cœur de libérer l’enseignement de sa gangue et de ses poncifs colonialistes. Les conférenciers ont été cependant unanimes pour rappeler que les résultats escomptés de tels efforts n’ont pas été à la hauteur des sacrifices consentis, d’où les déboires et les espoirs déçus, d’où ces sentiments d’immense gâchis, d’énergies gaspillées et d’argent dépensé pour de si minces résultats, d’où aussi ce lamento et ces jérémiades qui rendent l’atmosphère de l’université lourde de tristesse et de ce pénible sentiment d’inachevé.

La génération de la réforme, opérée par Mohamed Seddik Benyahia, dont nul ne saurait mettre en doute sa sincérité patriotique, garde encore en elle les traces d’une nostalgie fort mitigée et elle en souffre au plus profond d’elle-même, en raison même de l’ambiguïté que cette nostalgie (l’âge d’or) comporte. Non pas que ces conférenciers aient nié ou minimisé les réelles réalisations apportées par ladite réforme, ni qu’ils aient balayé d’un revers de main tout ce qui avait été imaginé, entrepris et fait sous l’impulsion de ces réformateurs. Bien au contraire. Ils constatent seulement, avec un amer regret, le hiatus existant entre les immenses investissements matériels, humains, voire même affectifs et psychologiques consacrés au secteur éducatif, et les maigres résultats obtenus en termes qualitatifs.

Quelles retombées de l’université sur la société ?

Au regard des investissements quasi-incommensurables dont a bénéficié le secteur éducatif, force est de constater que la part de leurs effets négatifs est bien plus importante que leurs conséquences positives sur la société. Lorsque l’on songe à la manière dont s’organise le cursus depuis le primaire, en passant par les divers paliers, jusqu’à l’université, et que l’on examine de près les contenus et les méthodes de transmission des connaissances et du savoir, on aperçoit très vite que ceux-ci ressortent plus de la «mémorisation» dont en a parlé le professeur Djamal Guerid, que d’une pédagogie encadrée par une méthodologie fondée sur l’apprentissage et l’exercice critique des matières enseignées.

Réceptacle de l’amont, l’université apparaît alors plus comme le lieu où se gèrent tant bien que mal les «ratés» du système du primaire et du secondaire, plutôt que le lieu où s’acquièrent le savoir et l’esprit critique, conditions indispensables à l’éveil scientifique de l’élève. L’amont et l’aval se soutiennent et se complètent pour produire une pensée et une représentation du monde où dominent l’idéologie, les sentiments religieux avec leurs rites et magies, le nationalisme étroit de type chauviniste et la quête d’un savoir fondé sur la mémorisation et le remplissage, tels sont les résultats auxquels a abouti l’université algérienne «affranchie» de la tutelle idéologique coloniale (ethnologie, géographie et anthropologie…). Sous prétexte de «décoloniser» l’histoire et partant l’université, on est arrivé à bannir partout la rationalité, elle-même accusée de manière implicite de faire le jeu de la colonisation. Seules les sciences dites «dures» par opposition aux sciences «molles» seraient «neutres», fiction qui persiste encore dans bien des esprits.

Les raisons du repli sur soi et de l’assoupissement de l’enseignement et de la recherche

Outre celles qu’on vient d’énumérer, il y en a bien d’autres qui méritent d’être soulignées. En premier lieu, il y a cette «retraditionalisation» de l’université que pointe du doigt Karim Khaled, jeune et dynamique chercheur du Cread, qui dénonce en même temps l’absence d’«indépendance épistémologique de l’intelligentsia algérienne» et le refus des universitaires de se prêter à «l’évaluation». En second lieu, il y a lieu de signaler, comme le fait Moussaoui de l’université d’Aix, l’absence de séminaires permanents et de publications de qualité dignes d’être indexées dans des références académiques. Si le même ne nie pas l’existence de revues, il fait observer toutefois qu’elles ne sont pas pourvues de comité de lecteurs, et celles qui en ont un comprennent des membres qui n’ont jamais publié d’articles que l’on pourrait qualifier de «scientifiques».

Moussaoui insiste, à juste titre, sur le repli identitaire de l’université, repli qui s’apparente parfois à une posture chauvine, pour ne pas dire raciste : ainsi dans une réunion pédagogique, on ne tolère pas la participation ou la simple présence d’un étranger qui se voit aussitôt inviter à quitter la salle de réunion, comme s’il s’agissait de préserver «un secret d’Etat !» On ne peut prétendre à l’universalisme de la culture et de la pensée et revendiquer je ne sais quelle ouverture d’esprit sur le monde, lorsque ceux qui sont censés enseigner le savoir ou la science pratiquent la discrimination et l’exclusion de l’autre. Il n’est en fait de pire ennemi du savoir que l’enfermement sur soi et le sentiment d’autosuffisance… Comment peut-on capter à son profit les expériences et les savoirs produits ailleurs, lorsque l’on se complaît dans une position de repli à la fois frileux et sectaire ? En effet, tous les intervenants de ce colloque ont insisté sur ce point paradoxal : le repli-imitation. D’un côté, on se complaît au repli sur soi, de l’autre, on imite des modèles d’enseignement que l’on plaque dans le contexte  algérien de manière mécanique. Le cas du système LMD en est l’exemple typique à cet égard.

Le culte des grands mots

Du côté de la tutelle, on aime et on cultive, à qui mieux, les grands mots, mais guère l’efficacité et le réalisme. Introduit en Algérie comme correctif au système d’enseignement national ancien, le système LMD, importé, est présenté alors comme modèle d’«excellence» qui serait encadré d’une «déontologie» et d’une «éthique» irréprochables, alors qu’en vérité, il n’a fait que susciter confusion et grand désordre dans les esprits en matière aussi bien de contenus, de méthodes que d’éthique. Comme l’a relevé Ahmed Ghouati, ce système importé est antiproductif et ne répond point aux exigences requises du développement scientifique de la nation. De façon générale, «les systèmes d’enseignement supérieur maghrébins ne participent plus à l’entretien de l’aspiration - caractéristique des années 1960 et1970 - d’appropriation de la modernité pour ‘‘être comme eux’’».

(Ahmed Ghouati , Processus de Bologne et enseignement supérieur au Maghreb, L’Harmattan, Paris, 2011, p. 27). La recherche scientifique n’est pas en reste et souffre de maints handicaps, dont l’énumération serait bien fastidieuse. Pour ce qui est de l’Algérie, la recherche scientifique est vraiment au point mort, car victime non pas d’un déficit de volonté et de compétences, mais de l’inertie du système.Or, ce système, constitué par la tutelle, ne représente pas la recherche en termes de performance et de compétitivité, mais en termes de gestion bureaucratique, où la valorisation et la célébration du quantitatif l’emportent de loin sur la quête de l’excellence. Comme le fait remarquer le professeur Rabeh Sebaâ : «Comment peut-on exceller quand on ignore le ‘‘basique’’ ? Par ailleurs, l’éthique, dont on parle, ne suppose-t-elle pas la valorisation des compétences ? Or, ce principe est bien loin d’être appliqué.»

De l’éthique et de l’excellence en question : fiction ou réalité ?

S’agissant maintenant de l’éthique dont on chante les louanges, tous les intervenants sont unanimes pour déclarer qu’elle relève plus de la théorie à l’état pur que d’une pratique effective. Partant des cas concrets, plusieurs collègues ont démontré l’inanité des discours tenus sur le respect de la déontologie et de l’éthique, valeurs que bafouent malheureusement et de manière allègre certains de leurs pairs enracinés de façon quasi-inamovible à la tête de certaines institutions de recherche. Le témoignage, livré par le professeur Rabeh Sebaâ, mérite bien d’être rapporté, car il rend bien compte du caractère pervers de la «bureaucratisation» de certaines de nos structures de recherche, dont les «managers» désignés se comportent comme s’ils étaient les propriétaires de l’institution qu’ils gèrent.

Ainsi, le Centre d’anthropologie (Crasc) serait cette figure peu ou pas très regardante sur la déontologie et l’éthique, comme en témoignerait la manière partielle dont il évalue les projets réceptionnés. «Alors qu’il est destinataire de projets à évaluer de manière impartiale, le Centre d’anthropologie recourt plutôt à la subjectivité et à l’irrationnel, consistant à régler ses comptes en éliminant les chercheurs avec qui il ne partage pas les mêmes opinions. Saisis à ce propos par courriers, la DG-RDST et le ministre en personne n’ont pas réagi, comme si ces graves entorses portées à l’encontre de la déontologie et de l’éthique relevaient de la futilité…».

Par ailleurs, le laxisme envers le piétinement des valeurs éthiques s’observe à travers mille cas observés. Par exemple, la question qui vient immédiatement à l’esprit est celle-ci : «Comment un enseignant qui dirige un labo, qui a un PNR, un Cnepru, et un LMD, etc. peut-il réaliser tout ça en même temps ? J’ai, par exemple, un projet de magistère, je peux y inclure facilement mon épouse, ma femme de ménage ou ma voisine, etc.» Et c’est ce laxisme qui tue la recherche, l’esprit créateur, et ouvre par conséquent la voie à la médiocrité et aux excroissances parasitaires au sein des structures de recherche, dont la prolifération devient de plus en plus superflue, comme le note encore de manière forte le professeur Rabeh Sebaâ : «On observe une dispersion de la recherche que reflète le foisonnement d’agences mal coordonnées entre elles, dépendantes du MESRS, et qui se trouve à son tour inutilement flanqué ou doublé d’un ministère délégué à la Recherche, aux missions imprécises.»

Après l’ANDRU, fondée en 1995, d’autres agences ont été créées et dont les missions se chevauchent, se doublent et se télescopent, si elles ne restent pas indéterminées, telle une fonction mathématique. Entre ces différentes dénominations, il n’existe aucune coordination ni passerelles entre elles ni «aucune synthèse critique» de leurs supposées recherches scientifiques. Autrement dit : «Les paradigmes dominants ne sont pas remis en cause. Les savoirs universel et humaniste sont rejetés ou délaissés[…]».  C’est dire autrement que «Repenser l’université n’intéresse pas uniquement les sciences sociales et humaines, mais aussi toutes les disciplines…» qui ne souffrent pas moins des «paradigmes dominants» qui accordent la part belle à l’«utilitarisme» fondé sur le court terme au détriment du long terme qui, lui, requiert élaboration et anticipation de l’avenir. Ce n’est pas la quantité qui nous manque, mais la qualité. Nous disposons de 90 établissements scientifiques, dont 38 universités. Mais leurs retombées positives, en termes d’efficience de compétitivité et d’effets d’entraînement sur leur environnement social et économique, sont bien modestes, pour ne pas dire très médiocres.

Des notes d’optimisme et d’espoir

Le colloque, en dépit de ses sévères critiques contre les pratiques de l’enseignement et de la recherche dans notre pays, s’est refusé de verser dans le pessimisme ou la sinistrose. Bien au contraire. Tous les intervenants sont convaincus que rien n’est perdu, que tout est rattrapable et rectifiable, pourvu qu’il y ait un sursaut et que les responsables de ce secteur, comme les chercheurs, prennent conscience des enjeux de la recherche en conjuguant leurs efforts respectifs, afin de valoriser celle-ci en la mettant au service du développement du pays. Les mots qui reviennent dans les débats, tel un leitmotiv, sont : nécessité d’adosser l’enseignement à la recherche scientifique ; de favoriser l’esprit critique et d’autonomie de la pensée par rapport au champ politique ; de sortir de l’enfermement et de la sclérose ; de s’ouvrir à l’autre et au monde ; de briser le cercle vicieux du repli identitaire qui conduit inexorablement au fanatisme et à l’impasse économique, culturel et politique.

Repenser l’université, c’est «donner une lueur d’espoir, c’est montrer qu’il existe des potentialités qui pourraient susciter bien des miracles, bien que je puisse par ailleurs observer que nous vivons à présent un ghetto. Un chercheur disait avec raison que nous n’avons pas une élite intellectuelle ni ici ni ailleurs. La raison en est simple : c’est que nous avons perdu le goût du travail collectif et il nous faut désormais réactiver ce contrat salutaire que fondent la collaboration et le travail en commun.»
(Sebaâ). Ces propos font partie des recommandations du colloque qu’achève cette phrase lapidaire du professeur Djamel Guerid : «Le savoir dans notre pays  devient un impératif. Il faut un saut qualitatif de la mémorisation.»

 Note :
(1) Voir El Watan du 16 juin 2012 

Ahmed Rouadjia

Source : http://www.elwatan.com/contributions/de-la-reforme-de-l-universite-a-sa-descente-aux-enfers-30-09-2012-187078_120.php

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